PAR EMILY
J'ASSOCIERAI TOUJOURS Margaret Atwood à l'odeur rance de la boîte dans laquelle je l'ai trouvée. Elle était dans la cave de mes parents. Dans la pièce la plus interdite de la maison. Une pièce sombre, style bunker, qui sentait le renfermé. Le tableau cruel d'un ange aux ailes noires présidait cet underworld, et sur les étagères, il y avait nos bottes de skis et nos vêtements d'été ainsi que des os de petits rongeurs, une boîte de livres à jeter, et un poisson-serpent dans un pot de formol mal vissé. Le plancher était froid et parsemé de pièges à rats. Il fallait descendre en souliers pour aller chercher la crème glacée.
« I T'S A L M O S T L I K E W E G A V E U P ,
B U T I T ' S H A R D TO S A Y .
S O M E T I M E S I F E E L
I W O U L D S T A Y H E R E F O R E V E R
W I T H O U T T H I S H E A V Y P R A I S E . »
— 41. c. 2011.
Le blackout poetry était populaire sur Tumblr et je voulais en faire sans gâcher les livres préférés de mes parents. Je suis descendue et j'ai pris un livre aux pages jaunes et deux femmes capées sur la couverture. J'ai «écrit » deux poèmes, puis j'ai été incapable de toucher plus. L'histoire m'avait emportée. Je ne savais rien d'Atwood. J'allais à l'école française. Je n'avais jamais entendue parlée d'elle. J'avançais dans le noir. À la fin, je croyais que je lisais une histoire vraie. J'étais Professeur James Darcy Pieixoto découvrant les cassettes d’Offred.
J'ai depuis lu presque toute son Oeuvre. Je peux te dire qui est Peggy Nature. Je peux te réciter The Animals Reject their Names and Things Return to Their Origins jusqu'au tiers. Je peux te confier que Cat’s Eye m'a guérie de mon amie ennemie. Que Le Tueur Aveugle est la seule histoire d’amour qu'elle a écrite et son seul roman que j'aimerais voir en film, et que, quelque part entre l'écriture de la série MaddAddam et un roman zombie publié sur Wattpad, elle s'est adoucie telle une vieille sorcière qui, ayant fait ses preuves, enlêve son chapeau pointu, ses bagues et ses perles, allume la télévision et commande du takeout.
Je connais Atwood et je peux te dire la main dans le feu que Hulu ne comprend pas ses femmes. Les femmes d'Atwood ne diraient jamais « They should never have given us uniforms if they didn't want us to be an army. ». Elles ne sont pas les héroïnes de leurs histoires. Elles sont l'amie laide, la soeur d'une écrivaine célèbre, la maîtresse secrete ou la peintre qui insiste qu'elle n'a pas de message politique. Elles ne sont surtout pas poliquement correctes et ne se revendiquent pas féministes. Elles ne sont pas Katniss Everdeen. Elles ne manifestent pas sur les trottoirs, ne crient pas de slogans et elles ont horreur qu'on les réduise à des posters de propagande. Elles sont les passantes qui n'ont fait que marcher devant le cadre.
Margaret Atwood est née le 18 novembre, 1939. Elle appartient à la génération silencieuse, connue pour ne pas être revendicatrice. Ses artistes sont souvent fermés en entrevue, esquivant les questions personelles, refusant de décortiquer leurs oeuvres à coeur ouvert et affichant un discours de 'je ne suis pas l'élue, laissez-moi faire de l'art tranquille' — ou, dans les propres mots d'Atwood: « She wasn't God, she didn't have to be understanding. » (Bodily Harm) et « I have no wish to satisfy your lust for phials of dried blood and the severed fingers of saints. » (The Blind Assassin).
Les Silencieux sont désilusionnés de la guerre et des pieds d'estales et des dogmes et des qualités salvatrices de l'art. Ils ont connus l'Allemagne nazie après tout, ont vus des photos d'Hitler à l'opéra et avaient vingt ans pendant les manifs étudiantes contre la guerre au Vietnam. Atwood est reconnue pour ses contre-interrogatoires incisifs (exemples I, II & III) et de ne pas se considérer féministe (exemples I & II) (TLDR: parce qu'il n'y a rien de radical au fait de penser qu'une femme est un être humain), et te souviens-tu de «l'ingratitude» de Bob Dylan lorsqu'il a refusé de recevoir en personne son prix Nobel de la Litérature?
C'était peut-être qu'il était malaisé. De quoi fallait-il le remercier? C'est un distrayeur de profession. Entertainer. Il n'a pas changé le monde. Il a vu l'utopie hippie mourir au ranch de Charles Mansion.
(Aussi, devait-il se dire, il est musicien, pas romancier. Tout artiste qui se respecte ne confond pas son médium.)
« I AIN'T GOT NOTHING TO SAY ABOUT THESE THINGS I WRITE. I MEAN, I JUST WRITE THEM. I AIN'T GOT ANYTHING TO SAY ABOUT THEM. I DON'T WRITE THEM FOR ANY REASON. THERE'S NO GREAT MESSAGE. IF YOU WANT TO TELL OTHER PEOPLE THAT, GO AHEAD AND TELL THEM, BUT I'M NOT GONNA HAVE TO ANSWER TO IT. »
— Bob Dylan, Time Magazine.
* * *
« “Why do you paint? ” she says, and I can hear her again as clear as anything. I hear her exasperation, with me and my refusals.
“Why does anyone do anything? ” I say. »
— Margaret Atwood. Cat's Eye. 1988.
Cette couardise est caractéristique des narratrices d'Atwood et j'arguerais qu'elle en fait l'essence de son Oeuvre. Atwood écrit pour les Silencieuses, pour les femmes à la vie banale, qui vivent dans les marges de la grande Histoire, pour les gens ordinaires qui se font prendre dans le jeu d'échecs de politiciens. Offred n'est pas une master mind. Ce n'est pas une stratégiste militaire. Dans son autre vie, elle n'était rien. Elle vivait dans l'ombre, elle était la maîtresse de quelqu'un. Elle ne cherche pas à renverser Gilead. C'est plus gros qu'elle. Elle n'est pas l'héroïne noble et honorable dont on lit dans les histoires. Elle veut retrouver sa fille et s'enfuir. Elle est le visage des centaines de réfugiés refusés à la frontière. Car leur histoire n'est pas celle de Katniss, mais bien d'Offred. Qui la racontera maintenant?
Ainsi, quand j'ai entendu Elizabeth Holmes à un rally Me Too citer « We were the people who were not in the papers » pour évoquer les femmes qu'on avait fait taire dans l'affaire Weinstein, je savais que l'adapation d'Hulu était en péril.
Soyons clairs: le mouvement Me Too est une chose formidable qui s'est passée dans le monde occidental. Jusqu'alors, j'avais l'impression que l'harcèlement sexuel dans mon milieu de travail serait une chose aussi certaine et inévitable dans ma réalité en tant que femme qu'avoir mes règles. Puis, un hashtag a tout changé. On s'est mis à en parler et on a prouvé que le problème n'était pas dans notre tête, mais qu'il était social.
Je n'en doute pas que La Servante a permis à Me Too à gagner de l'acceptabilité sociale et pour cela, j'en suis très reconnaissante. Mais l'utiliser comme une allégorie, un conte de fées, du sexisme en occident, c'est se montrer sourde à la réalité non-exagérée de femmes ailleurs dans le monde, au temps présent. Lire: The appalling vanity of Western feminists who think Margaret Atwood writes about them.
La série Hulu n'est pas pour moi. Elle est trop chevaleresque, trop Hunger Games. Trop hollywoodienne. Elle ne ressemble à rien de la vie de ceux qui évadent leurs pays dangereux. Ni des défecteurs nord-coréens, ni des réseaux secrets de femmes qui aident à fuir l'Arabie Saoudite, ni des réfugiés à la frontière mexicaine.
Si ça fait de moi une mauvaise féministe, tant pis. Je suis une vraie fan de Margaret Atwood, en ce que je n'en suis pas une. Une fanatique de celle-ci. Ce n'est ni ma déesse, ni ma sainte et je n'ai pas peur de le dire. Après tout, notre histoire a commencé dans l'hérésie.
« E M P T Y A N D W E A K , H E M A D E B O U N D A R I E S
W I T H A W O R T H Y S P E E C H ,
A N D W O U L D W A T C H H E R T E A R S
B L A C K N E N I N G H E R C H E E K S . »
— 43. c. 2011.
Margaret, tu as été prophète maudite et rockstar. Que désire-tu être maintenant? •
Couverture: Abraham Rombouts. Portrait d'Anna de Looper (détail). 1627. Musée de Zélande, Middelbourg.
Publier un commentaire